CHAPITRE XXVII

Tenant leurs sabres lasers à deux mains, Kyp et Ganner approchèrent de la salle où Wurth Skidder était détenu. L’absence de gardes, dans le couloir, intrigua Kyp. Mais dès que la porte s’ouvrit, il vit Skidder, et comprit aussitôt la portée de l’avertissement de Roa, le prisonnier d’âge mûr.

Nu et allongé sur le dos, Skidder avait les jambes pliées et les bras derrière la tête. Une dizaine de créatures semblables à des crabes l’entouraient, de toute évidence responsables des excroissances cartilagineuses le fixant au sol. Elles sortaient de ses genoux, de la plante de ses pieds, de ses épaules, de ses coudes et de ses poignets. Les sabres lasers de Kyp et de Ganner hachèrent menu les créatures, certaines réussissant quand même à se mettre à l’abri.

Kyp s’agenouilla et souleva délicatement la tête de Skidder. Le Jedi gémit de douleur. Ses yeux s’ouvrirent.

— Je ne m’attendais pas à vous voir ici, dit Wurth d’une voix rauque.

Kyp se força à sourire.

— Pensiez-vous que nous vous laisserions remplir cette mission seul ?

— Comment m’avez-vous trouvé ?

Etonné, Skidder haussa les sourcils.

— Je les croyais alliés à l’ennemi.

— J’imagine qu’ils ont compris leur erreur.

— J’en suis heureux. Je vous ai perçus à travers la Force quand vous avez attaqué le vaisseau, avant le saut.

— A Kalarba, dit Ganner.

— Où sommes-nous maintenant ?

— Fondor.

— Pourquoi ?

— C’était leur cible depuis le début. La flotte a été prise au dépourvu.

Skidder ferma les yeux.

— J’ai essayé d’apprendre notre destination, à travers le yammosk.

— Nous avons endommagé le vaisseau avant qu’il se pose sur la planète. Mais les Yuuzhan Vong ont l’avantage, même sans l’aide du yammosk.

— Il y a des prisonniers à bord, dit Skidder. Le plan était d’habituer le yammosk à nos schémas de pensée…

— Nous avons trouvé les autres prisonniers, dit Ganner. Deak et des camarades sont avec eux. Reste à vous libérer.

Wurth eut un rire amer.

— Chine-kal avait promis de briser ma volonté. Il a réussi.

— Chine-kal ?

— Le commandant du vaisseau.

La douleur arracha un gémissement au jeune Jedi. Kyp examina les tentacules de corail qui fixaient Wurth au pont.

— Nos sabres lasers ne mettront pas longtemps à éliminer ces trucs.

Wurth secoua la tête.

— Je ne vous quitterai pas, Wurth. Nous trouverons un moyen de vous tirer de là. La Force…

— Regardez-moi, coupa Skidder d’une voix ferme. A travers la Force. Je suis en train de mourir, Kyp. Vous ne pouvez plus rien pour moi.

Kyp ouvrit la bouche… et se ravisa avec un soupir résigné.

Skidder sourit.

— Je suis prêt, Kyp. La mort ne me fait pas peur. Mais il y a deux choses que j’aimerais que vous fassiez avant de quitter le navire.

Kyp hocha la tête.

— Randa et Chine-kal, murmura Skidder. Trouvez-les !

Seul dans le cockpit du Faucon, Yan avait une main sur le manche à balai et l’autre sur la commande des quadlasers supérieurs. Il déclencha un feu roulant qui fit exploser deux coraux skippers. Quelque part, derrière le Faucon, un troisième vaisseau apparut et mitrailla les chantiers navals. Yan n’eut pas le temps de faire pivoter la tourelle de son canon. L’ennemi fut pulvérisé par une des ailes X qui volait avec les Douze de Kyp.

— Joli tir ! commenta Yan dans le micro de son casque.

— Merci, Faucon, répondit une voix de femme. Vous les ramollissez un peu, et je les descends.

— Entendu, dit Yan.

Il vira pour faire une reconnaissance dans le secteur du chantier naval désaffecté où les pirates avaient abandonné les réfugiés de Ruan. Droma, le deuxième pilote de chasseurs et quelques pirates y organisaient la récupération des réfugiés. Le Trevee était amarré à l’endroit où il y aurait eu une barge de construction si l’installation avait été fonctionnelle. L’équipage, embarqué dans une mission de sauvetage à son corps défendant, n’avait plus qu’une hâte : terminer le boulot et repartir.

Des craquements sortirent du système com du cockpit. Une image vidéo de Droma apparut sur l’écran.

— Yan, le Trevee embarque les réfugiés, mais il en manque une cinquantaine. Apparemment, certains avaient espéré échapper à la mort en se dissimulant.

Derrière Droma, de grands sourires aux lèvres, se pressaient une dizaine d’autres Ryn, y compris les deux qu’il avait présentés plus tôt à Yan. Gaph et Melisma.

Melisma portait un bébé ryn.

— Impossible de se cacher quand du plasma vous tombe dessus ! beugla Yan dans l’unité com.

Droma baissa la tête.

— Nous les chercherons.

— Ouais, mais ne perdez pas de temps ! Un escorteur yuuzhan vong s’intéresse à nous.

Droma coupa la communication.

Quand le Faucon acheva sa boucle autour du chantier naval, le Trevee reparut dans sa verrière de poupe. L’hyperdrive fichu, il restait les moteurs subluminiques. A condition que l’ennemi ne le rattrape pas d’abord…

A cet instant, l’escorteur yuuzhan vong apparut à bâbord, arrosant le chantier naval d’un feu nourri.

Yan orienta le Faucon vers l’ennemi, mais un seul adversaire ne suffirait pas à le détourner de sa mission. L’aile X accompagnant le Faucon s’interposa, expédiant deux torpilles à protons qui atteignirent la proue de l’escorteur.

Les yeux de Yan s’étrécirent de colère.

— Personne n’a le droit de descendre mon ailier !

Il fonça sur l’escorteur, les quadlasers crachant des flammes. Des morceaux de corail yorik se détachèrent du vaisseau ennemi, suivis par une épaisse traînée de fumée. Puis le navire bascula sur le côté comme un animal blessé.

L’écran com s’activa.

— Nous avons décollé, annonça Droma.

Yan fit un tonneau ascendant, puis vira vers tribord. Il vit le Trevee et le chasseur d’escorte à l’instant où ils quittaient l’installation menacée. L’escorteur agonisant les vit aussi et tira. Puis il concentra le gros de ses missiles vers le chantier naval. Percée de part en part, l’installation ne tarda pas à exploser, lâchant des jets de flammes qui léchèrent la poupe du Trevee. L’escorteur disparut à son tour dans une gerbe de flammes.

— Je jure que je passerai le reste de mes jours à rembourser la dette que j’ai envers vous, assura Randa en basique.

Le Hutt suivait les deux Jedi dans le vaisseau-grappe, se propulsant grâce à sa queue musclée.

— Remerciez plutôt Skidder, Randa, dit Kyp. Sans lui, je vous aurais laissé avec vos serviteurs morts !

— N’importe. Je paierai ma dette en honorant la mémoire de Skidder, promit Randa. Vous verrez !

Débouchant d’un couloir, les Jedi se trouvèrent face à une phalange de guerriers yuuzhan vong. Randa chargea sans hésiter, en renversant une demi-douzaine avant que les autres aient le temps de réagir. Kyp et Ganner suivirent le Hutt et frappèrent leurs adversaires aux jonctions critiques des armures.

Le trio se fraya un chemin jusqu’à une immense ouverture, dans la paroi, d’où émanait une puanteur plus forte que celle de Randa. Au centre de la grande salle, entouré par des guerriers brandissant maladroitement des coufees, se tenait un commandant yuuzhan vong muni d’un villip de communication. Un manteau couvrait ses épaules à l’ossature modifiée. Derrière lui, dressé sur ses tentacules dans un réservoir de liquide à l’odeur répugnante, un yammosk en cours de maturation regardait les intrus de ses énormes yeux noirs.

Randa fonça sur les guerriers, en écrasant un certain nombre. Puis, d’un coup de queue, il fit sauter le villip des mains du commandant. Les assistants se mirent en position de défense, mais leur supérieur leur ordonna de baisser leurs armes.

— Je vous félicite d’être arrivés jusque-là…, lança-t-il.

Sabre laser pointé, Kyp le tint en respect.

— Laissez-nous le passage !

Chine-kal regarda le yammosk.

— Je comprends. La vie d’un yammosk en échange de celle d’un Jedi. Logique.

Ganner lança son sabre laser activé dans l’œil gauche de la créature. Quand la lame d’énergie frappa, le yammosk hurla. Le liquide qui emplissait le réservoir jaillit sur le pont.

Le yammosk se dressa et vacilla. S’immobilisant, il retomba dans le réservoir, raide mort.

Ganner rappela son arme à lui.

— Félicitations, Jedi, dit Chine-kal, une ombre de tristesse dans le regard. Mais vous nous avez condamnés à mort.

Le vaisseau vibra.

— Le yammosk contrôlait le navire, expliqua Randa. Les basals dovin agonisent.

Chine-kal eut un sourire féroce.

— Personne ne quittera ce vaisseau vivant !

Kyp lui rendit son sourire.

— Ce ne sera pas votre première erreur de jugement, commandant, mais probablement la dernière ! (Il regarda les assistants.) Ceux qui le souhaitent peuvent venir avec nous.

Personne ne bougea.

— Comme vous voudrez, dit Kyp, haussant les épaules.

Il recula vers l’entrée, flanqué par Ganner et Randa.

Une embardée du vaisseau les expédia contre la cloison. Kyp reprit son équilibre et s’apprêta à rebrousser chemin. Randa l’arrêta d’un geste.

— Je connais un chemin plus direct.

Ils entrèrent dans un module adjacent. Le comlink de Kyp bipa.

— Où en êtes-vous ?

Kyp reconnut la voix de Yan Solo.

— Nous sortons. Le vaisseau s’autodétruit.

— Des bâtiments de guerre yuuzhan vong se dirigent vers vous. Nous n’avons pas beaucoup de chances de les retenir.

— N’essayez pas.

— Je me doutais que vous diriez ça ! Où sont les prisonniers ?

— On les transfère vers le module que vous avez transpercé.

— Combien ?

— Une centaine.

Solo jura entre ses dents.

— Le Trevee ne pourra pas faire face. Il faudra fourrer tout le monde à bord du Faucon.

— Pouvez-vous approcher assez pour déployer un tunnel d’évacuation ?

— Pas de problème, assura Solo.

— Ne vous en faites pas, je trouverai !

— Je me doutais que vous diriez ça ! lança Kyp. Au fait, avez-vous assez de place pour un Hutt ?

— Un Hutt ? Pourquoi pas ? Plus on est de fous, plus on rit…

— Vous serez sans doute ravi d’apprendre qu’un prisonnier m’a demandé de vous dire le bonjour.

— Qui ?

— Roa.

— Tirez ! cria Sal-Solo. Allez-y !

— Pour les Mrlssi, ajouta une voix plaintive.

— Pour la Nouvelle République, renchérit le capitaine.

— Mon garçon, non ! lancèrent Ebrihim et Q9 en chœur.

Les voix se mélangeaient dans l’esprit d’Anakin. Il entendit aussi celles de sa mère, de son père, le ton compatissant de Jaina, les conseils de son oncle Luke…

Il les ignora et regarda Jacen.

— Que dois-je faire ?

— Tu es mon frère et un Jedi, répondit Jacen. Ne fais pas ça !

Anakin inspira à fond et lâcha la manette. Dans la salle, la tension retomba. Des voix déçues marmonnèrent. Les Mrlssi baissèrent la tête. Quelqu’un poussa Anakin hors du siège de la console.

— Alors, c’est moi qui m’en chargerai ! cria Thrackan Sal-Solo furieux.

Il posa une main sur la manette.

La flotte venue de Commenor, sous les ordres du Yald, émergea de l’hyperespace à l’extérieur de l’orbite de la lune la plus éloignée de Fondor. Les Dragons et les croiseurs de la flotte d’Hapès la suivirent de près.

Le commodore Brand avait autorisé Leia à le rejoindre sur la passerelle. Près du fauteuil de commandement, elle regardait la flotte hapienne se déployer. Plus loin, vers Fondor, les explosions se succédaient, les vaisseaux alliés et les chantiers navals succombaient sous les assauts de l’ennemi.

— Le commandement de la flotte signale plus de cinquante pour cent de pertes, annonça un opérateur. Certains chantiers navals parviennent à résister aux attaques suicide des coraux skippers, mais la flotte est incapable d’enrayer les bombardements ennemis.

— Les Hapiens effrayeront nos adversaires, assura Brand à voix haute.

Leia cacha sa main droite tremblante sous les plis de son manteau. Invoquant la Force, elle chercha Anakin et Jacen. Au lieu de la détresse qu’elle avait captée plus tôt, elle perçut du soulagement. Un grand calme l’enveloppa. L’appréhension qui ne la quittait plus depuis Hapès l’abandonna.

Mais cette sérénité fut de courte durée. Presque aussitôt, une sensation incontrôlable s’empara d’elle. Elle s’aperçut que son angoisse pour Jacen et Anakin avait voilé une autre peur, moins personnelle mais plus profonde.

Elle se tourna vers la verrière, regardant la flotte hapienne se regrouper et approcher des rangs ennemis.

— Tirez dès que vous serez prêt ! ordonna Brand à Isolder.

Leia n’en crut pas ses yeux. Rien, dans l’arsenal des Yuuzhan Vong, ne l’avait préparée à une destruction apocalyptique de cet ordre. Un instant, elle pensa à une vision provoquée par la Force… Mais elle dut se rendre à l’évidence : la violence était réelle.

Sa stupéfaction augmenta quand elle vit le rayon continuer vers Fondor et frapper l’avant-dernière lune. Puis il fonça au cœur de la flotte ennemie, pulvérisant des coraux skippers par dizaines et désintégrant plusieurs grands vaisseaux. Fondor dépassé, il ne s’arrêta pas, cherchant peut-être une cible plus lointaine…

Tous les systèmes de la passerelle étaient en panne. Les consoles et les écrans se réactivèrent en mode d’urgence.

— Un rayon répulseur, annonça un technicien. Véhiculé par l’hyperespace.

— Centerpoint, murmura Leia.

Brand et ses officiers se tournèrent vers elle. Elle regarda le commodore.

Yan serra Roa dans ses bras quand il sortit du sas étanche du bras d’amarrage bâbord du Faucon.

— Fasgo est mort, annonça Roa dès que Solo le lâcha.

— Il aurait pu devenir mon ami aussi…, murmura Yan.

— La fortune est capricieuse, rappela Roa. Elle vous sourit et vous poignarde dans le dos… Puis vous fait de nouveau mille grâces.

Yan se força à sourire, examinant son ami de pied en cap.

— Ça peut aller. Et mon vaisseau ? Toujours en un seul morceau ?

— Il t’attend à Bilbringi.

Roa soupira et aida une femelle ryn à sortir du sas.

— Yan, je voudrais te présenter…

— Avez-vous un camarade de clan appelé Droma ? coupa le Corellien.

— Mon frère se nomme Droma, répondit la Ryn, surprise.

Un grand sourire éclaira le visage de Yan.

— Vous le retrouverez bientôt.

Roa se gratta le crâne.

— J’ai raté pas mal de choses, hein ?

— Pour sûr !

Le vaisseau-grappe commençait à se désintégrer. Yan accéléra le transfert des prisonniers, craignant de devoir détacher d’un instant à l’autre son navire du vaisseau ennemi. Quand tout le monde fut à bord, le Faucon était plein à craquer. Yan espéra que les recycleurs d’air tiendraient le choc le temps de sauter par l’hyperespace vers Mrlssi ou une autre planète du secteur Tapani. En débarquant, les passagers seraient affamés et déshydratés.

Le sas étanche refermé, Yan, Roa et deux Ryn gagnèrent le cockpit. Yan s’installa sur le siège du pilote et lança le Faucon sur une trajectoire l’éloignant du vaisseau yuuzhan vong. Par la verrière de proue, il vit ce qui restait des Douze de Kyp sortir par le trou percé dans le module extérieur.

Roa activa les quadlasers pendant que Yan pilotait, prêt à combattre les vaisseaux ennemis venus porter secours au navire du yammosk. Mais ce qu’il vit lui arracha un cri de soulagement.

— Des Dragons hapiens !

Il allait ajouter que Leia était sûrement pour quelque chose dans le recrutement de la flotte hapienne, quand une lueur d’une intensité incroyable l’aveugla. Tous les systèmes du Faucon tombèrent en rade. Le vaisseau fut projeté dans une série de tonneaux qui l’expédia à deux mille kilomètres de là.

Les Yuuzhan Vong ont transformé le soleil de Fondor en nova ! pensa Yan. Ils ont désintégré le système entier !

Quand les grognements et les gémissements de ses passagers cessèrent, Yan s’aperçut que les trois quarts de la flotte hapienne et la moitié de celle des Yuuzhan Vong avaient disparu.

A bord de son vaisseau amiral, Nas Choka retrouva assez de calme pour cacher son désarroi à Malik Carr et à Nom Anor. Les villips de transmission montraient les carcasses noircies d’un nombre incroyable de vaisseaux yuuzhan vong et de navires ennemis.

— Ils ont éliminé la majeure partie de leurs renforts pour détruire la moitié de notre flotte, constata le commandant suprême. Une telle sauvagerie leur est-elle coutumière ?

Nom Anor secoua la tête.

— Non. Il doit s’agir d’une erreur. Le respect de la vie a toujours été leur plus grande faiblesse.

— Peut-être avons-nous réussi à réveiller leur côté le plus primitif, ajouta Malik Carr.

Un assistant arriva, un villip en main. Il avait les traits de Chine-kal.

— Le yammosk a été tué ! haleta le commandant. Le vaisseau agonise. Les Hutts nous ont trahis. Celui que nous avons capturé sur Gyndine mourra avec nous, mais deux de ses associés et Randa Besadii Diori, les assassins du yammosk, sont parvenus à fuir. Nous…

Le villip se tut, puis redevint une boule inerte.

Chine-kal était mort.